UN CERTAIN SOIR DE MAI  

I 

15 mai 68, 19 heures (en parlant)

Lili, t’en souviens tu

Du fond de cette impasse

Qui prenait juste en face

Le vieux lion de Denfer;

Bien trop prés du chahut

Bloquant la rue Saint Jacques,

J’me cachais des matraques,

Des gaz, bref, de l’enfer.

Tu m’apparus soudain,

Ebouriffée, hagarde,

Pourchassée par deux gardes

Mobiles, de vrais cerbères ;

Ton pavé bien en mains,

Tu fis face à la clique,

Moi, j’n’opposais aux flics

Qu’un bouquet pour ma mère. 


 

 Refrain

Le sort nous joue des tours,

Qui, quinze ans, jour pour jour,

Après notre nuit blanche,

Nous ressort de sa manche :

Même si, en toute hâte,

C’est sur la rive droite

Qu’on trinque, mal à l’aise,

A nos années de braise,

Je n’oublierai jamais

Un certain soir de mai.

 

 


II

15 mai 68, 20 heures....

Je l'ai bien en mémoire

Ce poste de police

Où j' goutais les délices

D'un accueil chaleureux;

Mes yeux cernés de noir

T''arrachèrent un sourire

Et moi de m'attendrir

Sur tes plaies et tes bleus…

 

 

Je mis mon mouchoir sur

Ce passage à tabac

Même si de ton combat

Je n'étais pas preneur,

Et j' faillis, je te jure,

Moi qui suis un peu lâche,

M'écrier "mort aux vaches"

Dans un beau bras d'honneur

Refrain

Le sort nous joue des tours

Qui quinze ans jour pour jour

Après notre nuit blanche

Nous ressort de sa manche,

Même si un ange passe

Sur notre face à face,

Transforme Yseult, Tristan,

En anciens combattants,

Je n'oublierai jamais

Un certain soir de mai.

 

III

15 mai 68, 22 heures....

Les rafles en grande échelle

Laissant peu de répit,

On nous vira, tant pis

Pour le menu fretin;

Délaissant Saint Michel

Flambant dans sa nuit bleue,

La faim nous fit faire le

Tour du Quartier Latin…

 

 

Dans l'odeur de friture,

Au petit Guévara,

Tu m'appris l'ça ira

Des révolutionnaires,

Alors que moi, futur

Haut fonctionnaire aux ordres,

J' n'avais qu'une idée, mordre

Tes lèvres sanguinaires.

 

Refrain

Le sort nous joue des tours

Qui, quinze ans jour pour jour,

Après notre nuit blanche,

Nous ressort de sa manche ;

Même si tu veux me taire

Ton job au ministère,

Si je suis devenu

Un poète inconnu,

Je n'oublierai jamais

Un certain soir de mai.

 

IV

15 mai 68, minuit.....

Pourquoi donc rougis tu

De cette nuit en Sorbonne

Occupée par une faune

Grisée de son culot?

Tu m'offris ta vertu

Sur un banc de l'amphi

Comme on lance un défi,

Comme on se jette à l'eau…

 

 

Sans doute ivre de joie

Et respectant l'usage,

Je parlai mariage,

Rétrograde propos;

Tu plaquas ton bourgeois

Dans un éclat de rire

Et je te vis partir

Agitant ton drapeau.

 

Refrain

Le sort nous joue des tours

Qui, quinze ans , jour pour jour,

Après notre nuit blanche,

Nous ressort de sa manche,

Même si mon œil accroche

L'alliance à ta main gauche,

Si mon cœur vieux garçon

Ne cède plus aux frissons,

Je n'oublierai jamais

Un certain soir de mai.